Civ. 1re, 17 novembre 2021, n° 19-23.298 – Publié au Bulletin

Bruxelles I : le principe de la concentration des moyens s’applique-t-il lorsque la demande initiale a été présentée et jugée par une juridiction étrangère ? La Cour de cassation renvoie plusieurs questions à la CJUE

 

Une société de droit luxembourgeois a assigné son administrateur devant les juridictions luxembourgeoises alléguant des fautes dans l’exercice de son mandat.

La cour d’appel de Luxembourg déclare irrecevable la demande au motif que celle-ci était fondée sur la responsabilité délictuelle et non sur la responsabilité contractuelle.

L’ex-administrateur ayant déménagé en France, la société l’a assigné devant les juridictions françaises sur le fondement, cette fois-ci, de la responsabilité contractuelle.

La cour d’appel déclare cette demande irrecevable par application du principe de concentration des moyens : la société aurait dû invoquer les règles de la responsabilité contractuelle dès la première instance introduite devant le tribunal luxembourgeois.

La difficulté provient de ce que le droit luxembourgeois ne connaît pas le principe de concentration des moyens.

La société s’est pourvue en cassation en faisant notamment valoir que l’autorité de chose jugée de la décision luxembourgeoise ne doit pas être appréciée au regard du droit français mais soit au regard d’une interprétation autonome de cette notion en droit de l’Union, soit en application du droit luxembourgeois, dès lors que la reconnaissance d’une décision étrangère dans l’État requis ne saurait lui permettre de produire plus d’effets qu’elle n’en a dans son État d’origine et que le droit luxembourgeois ne connaît pas le principe de concentration des moyens.

La Cour de cassation a finalement décidé de renvoyer la question à la CJUE au terme d’un arrêt très motivé.

La haute juridiction rappelle qu’en droit de l’Union, l’autorité de chose jugée s’attache non seulement au dispositif de la décision mais également aux motifs qui en sont le soutien nécessaire.

La Cour de cassation se pose alors la question de savoir si la définition autonome de l’autorité de la chose jugée concerne l’ensemble des conditions et des effets de celle-ci ou si une part doit être réservée à la loi de la juridiction saisie et/ou à la loi de la juridiction qui a rendu la décision.

Dans la première hypothèse, elle s’interroge sur le point de savoir si deux demandes portées devant les juridictions de deux Etats membres doivent être considérées, au regard de la définition autonome de l’autorité de chose jugée, comme ayant la même cause lorsque le demandeur allègue des faits identiques mais invoque des moyens de droit différents.

Elle se demande plus spécialement si deux demandes fondées l’une sur la responsabilité contractuelle et l’autre sur la responsabilité délictuelle mais basées sur le même rapport de droit, tel que l’exécution d’un mandat d’administrateur, doivent être considérées comme ayant « la même cause » au sens de la jurisprudence Gubisch Maschinenfabrik (CJCE, 8 décembre 1987, aff. 144/86).

Dans la seconde hypothèse, la Cour se demande si l’article 33, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 44/2001 en application duquel il a été jugé qu’une décision de justice doit circuler dans les Etats membres avec la même portée et les mêmes effets que ceux qu’elle a dans l’Etat membre où elle a été rendue impose de se référer à la loi de la juridiction d’origine ou s’il autorise, s’agissant des conséquences procédurales qui y sont attachées, l’application de la loi du juge requis.

La CJUE devrait donner sa réponse dans une quinzaine de mois.