Crim, 13 février 2024, n° 23-83.818
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 février 2024 rendu sur un pourvoi soutenu par notre cabinet, souligne l’importance du respect des droits de la défense dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, et précise les conditions dans lesquelles peut être prononcée la nullité d’un acte accompli par l’autorité judiciaire de l’État requis en violation des droits de la défense ou d’un principe général du droit.
Dans cette affaire, le responsable sûreté d’une société de cimenterie française mise en examen pour des faits de financement d’entreprise terroriste, a été entendu par les autorités jordaniennes en exécution d’une commission rogatoire émise par des juges d’instruction français.
Cette audition eut lieu sans que cette personne n’ait été préalablement informée des faits dont les magistrats étaient saisis et de leur qualification pénale, ni de son droit de garder le silence, alors que la commission rogatoire demandait expressément que ces deux garanties fondamentales soient respectées.
Saisie d’un moyen tiré d’une violation de l’article 4,§1 de la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et la Jordanie, la Chambre criminelle a tout d’abord précisé que si cet article « autorise les autorités françaises à demander l’exécution de la demande d’entraide selon les règles du code de procédure pénale français, il n’en résulte aucune obligation pour les autorités judiciaires jordaniennes de se conformer à une telle demande » dès lors que « l’exécution d’un acte sollicité par des magistrats instructeurs, sur commission rogatoire internationale, par l’autorité́ judiciaire de l’Etat requis, et sa forme relèvent de la souveraineté de celui-ci ».
Puis, saisie d’un moyen reprochant à la Chambre de l’instruction de s’être déclarée incompétente pour apprécier la régularité de cet acte de procédure réalisé à l’étranger, la Chambre criminelle a rappelé sa jurisprudence selon laquelle « en principe, le juge français n’a pas qualité pour apprécier la régularité d’un acte effectué sur commission rogatoire internationale à l’étranger, mais qu’il lui incombe de s’assurer que cet acte n’a pas été accompli en violation des droits de la défense, ni d’aucun principe général du droit ».
En l’espèce, elle admet que de tels droits ont été méconnus, et retient que la Chambre de l’instruction s’est à tort déclarée incompétente pour apprécier la régularité de cet interrogatoire effectué à l’étranger.
Mais, pour la première fois, la Chambre criminelle précise « qu’en cas de méconnaissance par l’autorité étrangère [d’un droit de la défense ou d’un principe général du droit], s’agissant d’un acte accompli par l’autorité judiciaire de l’Etat requis et relevant de la souveraineté de celui-ci, le prononcé de la nullité est subordonné à la preuve que l’irrégularité a irrémédiablement compromis les droits de l’intéressé ».
Exerçant directement son contrôle sur les pièces de la procédure comme elle en a le pouvoir, la Chambre criminelle estime en l’espèce que les droits de la personne entendue n’ont pas été irrémédiablement compromis, dès lors qu’elle a ensuite été extradée vers la France, puis mise en examen par un juge d’instruction français, qui l’a préalablement informée des faits pour lesquels sa mise en examen était envisagée et de leur qualification juridique, de son droit d’être assistée d’un avocat, ainsi que de son droit de se taire.
Elle relève aussi que, devant ces magistrats français, l’intéressé « n’a ni soutenu avoir ignoré les raisons pour lesquelles il avait été entendu par le procureur général jordanien, ni contesté les déclarations consignées par ce dernier dans le procès-verbal d’interrogatoire, ni même allégué avoir été contraint de faire des déclarations en Jordanie, sur lesquelles, d’ailleurs, il n’est pas revenu ».
Ainsi, une violation des droits de la défense ou d’un principe général du droit commise par l’autorité judiciaire souveraine d’un Etat requis dans le cadre d’une commission rogatoire internationale, n’expose l’acte accompli dans de telles circonstances à la nullité qu’à la condition que les droits de l’intéressé aient été irrémédiablement compromis, ce qui n’est pas le cas si cette personne ne s’en plaint pas après son extradition devant les magistrats français au moment de son interrogatoire de première comparution.