Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-19.025

 

Validation de l’utilisation commerciale faite par Mme Taittinger de son patronyme

 

Toute personne devrait être libre d’utiliser son patronyme, élément intrinsèque de sa personnalité, pour désigner les fruits de son travail.

L’emploi du conditionnel est ici de rigueur car les juges du fond ont précisé, au rythme d’affaires toutes plus célèbres les unes que les autres, que la seule nature patronymique d’un signe distinctif ne suffit pas à légitimer son usage commercial s’il porte atteinte à la marque de renommée d’une société concurrente.

D’autres motifs peuvent permettre à l’exploitant concerné de poursuivre son utilisation d’un signe patronymique mais l’analyse des facteurs pertinents est hautement casuistique et peut occasionnellement mener les juges du fond à priver un commerçant de la faculté de se prévaloir du signe pourtant le plus ostensible de l’héritage professionnel qu’il tient de ses aïeux.

Une mise en balance est ainsi nécessaire entre, d’une part, les intérêts du titulaire d’une marque souhaitant la préserver d’une captation indue de sa renommée et, d’autre part, la possibilité pour ses concurrents d’employer un signe distinctif faisant expressément référence au savoir-faire familial.

Telle était la difficulté qui se présentait dans l’affaire dite « Taittinger » dans laquelle la société éponyme entendait priver Mme Virginie Taittinger de la possibilité d’utiliser son nom de famille dans le cadre de son activité viticole indépendante et d’évoquer de ce fait son héritage tant professionnel que familial.

Pour rappel, Mme Virginie Taittinger et les autres membres de la famille Taittinger avaient cédé, en 2005, leurs titres dans la holding familiale à un tiers repreneur. Trois ans après cette cession, Mme Taittinger avait créé la société BM & VT, spécialisée dans la production et la distribution de champagne, et avait déposé la marque « Virginie T ». Elle avait également enregistré des noms de domaine comportant son patronyme.

C’est dans ce contexte que la société Taittinger avait assigné en responsabilité Mme Taittinger et la société BM & VT.

La société Taittinger leur reprochait, sur le terrain de l’article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle, de porter atteinte à la marque de renommée « Taittinger », de parasitisme et de concurrence déloyale, et d’avoir violé la clause figurant dans le contrat de cession qui interdisait aux membres de la famille Taittinger de faire usage de leur patronyme pour désigner tout produit concurrent de ceux qu’elle commercialisait.

Suite à un premier pourvoi en cassation (Com., 10 juill. 2018, n° 16-23.694), la cour d’appel de renvoi avait débouté la société Taittinger de ses demandes en estimant que si Mme Taittinger faisait référence à la marque de renommée, cette référence avait pour objectif principal de rappeler son parcours professionnel et son origine familiale, deux éléments à même d’attester de son savoir-faire.

Les juges du fond avaient également constaté que la stratégie de communication de Mme Taittinger ne conduisait pas un consommateur raisonnablement avisé à établir un lien entre les marques « Virginie T » et « Taittinger » (Paris, Pôle 5 – ch. 1, 3 mars 2020, n°18/28501).

La société Taittinger s’est donc pourvue une nouvelle fois en cassation.

Cette fois-ci, la société Taittinger reprochait principalement aux juges du fond d’avoir violé le principe d’appréciation globale du lien que l’usage du signe incriminé était susceptible de créer dans l’esprit du public avec la marque de renommée.

Plus précisément, elle reprochait à la cour d’appel de renvoi d’avoir écarté l’atteinte à la marque de renommée sans avoir au préalable apprécié le degré de similitude des signes en présence, l’intensité de la renommée de la marque « Taittinger », le degré de son caractère distinctif, la nature des produits en cause et leur degré de proximité.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Si elle a admis que les juges du fond auraient dû prendre en compte certains éléments pour apprécier l’atteinte à la marque de renommée, ils s’étaient fondés sur d’autres considérations qui suffisaient à écarter l’action en responsabilité.

Elle a ainsi confirmé que l’utilisation par Mme Taittinger de son patronyme était légitime car elle avait pour objectif de rappeler son histoire familiale et professionnelle, et le savoir-faire ainsi acquis, et de différencier les produits « Virginie T » de ceux de la maison Taittinger.

En somme, la haute juridiction a validé l’analyse certes partielle mais suffisante de la cour d’appel de renvoi.

 

Emiliano Cortes Morichetti