Conseil d’Etat, 7 avril 2023, n° 452931
Le Conseil d’Etat retient, dans un arrêt inédit, que la perte du mode de vie spécifique de la victime appartenant à la communauté des gens du voyage doit être pris en compte dans l’évaluation de ses préjudices.
Dans cette affaire, les faits, graves, étaient les suivants.
Suite à une prise en charge défaillante par le centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingt, la victime, a définitivement perdu la vision de l’œil droit.
La responsabilité du centre hospitalier a été reconnue en première instance et le litige portait sur l’évaluation des préjudices indemnisables de la victime.
Cette dernière soutenait qu’en tant que membre de la communauté des gens du voyage, elle faisait face à certains préjudices spécifiques à son mode de vie et que ces derniers n’avaient pas été pris en compte par la cour d’appel.
Elle expliquait que les gens du voyage avaient un mode de vie précis répondant à deux critères : l’itinérance et l’usage du véhicule comme résidence mobile, et que ce mode de vie déterminait leur identité sociale. Par conséquent, la « sédentarisation forcée » dont elle était victime suite à l’intervention l’ayant privée d’un œil portait atteinte à ce mode de vie et donc à son identité même.
Bien que le Conseil d’Etat n’ait pas créé un nouveau poste de préjudice, il reconnait que la renonciation à un mode de vie « spécifique » a entrainé un préjudice du fait du déracinement et des incidences sur les conditions matérielles et morales de l’intéressée, qui doit être pris en compte.
Quant à la prise en compte de l’acquisition d’un logement suite à l’accident médical, le Conseil d’Etat a retenu que le juge d’appel devait rechercher si le logement dans un véhicule de taille plus modeste répondait aux besoins de l’intéressée au regard de ses caractéristiques et de la composition du foyer, et qu’à défaut il commettait une erreur de droit.
Cette décision du Conseil d’Etat se justifie au regard des principes de réparation intégrale du dommage et d’individualisation de l’indemnisation qui impliquent nécessairement la prise en compte des particularités de la victime, dont l’appartenance identitaire fait partie.
Clara Pourquery de Boisserin