Civ. 1ère 14 mars 2018, pourvoi n° 17-50.021
« On ne nait pas femme, on le devient » (S. de Beauvoir Le deuxième sexe).
Serait-on mère en accouchant ?
La Cour de cassation en juge ainsi, comme en témoigne à nouveau cet arrêt du 14 mars 2018 qui n’aura pas l’honneur des gazettes, tant la solution est présentée comme évidente, notamment depuis les arrêts du 5 juillet 2017 (Civ. 1ère, 5 juillet 2017, quatre arrêts, pourvois n° 16-16.495, 15-28.597, 16-16.901, 16-16.455).
Trois enfants sont nés en février 2014 à Accra au Ghana ; leurs actes de naissance, dressés par les autorités ghanéennes, désignent, en application de la loi ghanéenne, un couple de Français qui en ont par la suite demandé la transcription sur les registres de l’état civil consulaire. Du fait de l’opposition du Parquet, lequel suspectait le recours à une convention de gestation pour autrui, les parents ont saisi le tribunal de grande instance de Nantes. Celui-ci a ordonné la transcription des actes de naissance des trois enfants et ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Rennes.
C’est cet arrêt que la Cour de cassation a partiellement censuré le 14 mars 2018, s’agissant de la filiation maternelle : concernant la désignation de la mère, la réalité est la réalité de l’accouchement.
Foin donc de la conception polysémique de la filiation, telle que l’avait systématisée le doyen Carbonnier : « on ne conçoit guère de système juridique (…) qui, fût-ce sans le dire, n’accorderait une place à la vérité sociologique (…), aux habitudes prises, inter-individuelles, familiales, sociales (…). Le fait de vivre comme si le lien biologique existait crée un réseau de pratiques et de sentiments, une communauté psychologique, qui peut être aussi forte que la communauté de sang. C’est une réalité qu’il serait peu réaliste de troubler, et ainsi la vérité sociologique, qui n’est pas moins la vérité psychologique, est également la vérité juridique » (Carbonnier Droit civil La famille, les incapacités Themis 1983 pp. 321 et 322).
Il fut un temps où le seul fait de l’accouchement ne permettait pas, à lui seul, l’établissement de la filiation maternelle naturelle : la mère devait témoigner de sa volonté en reconnaissant l’enfant.
Ainsi sommes-nous, avec la jurisprudence la plus récente, revenus en des temps où la filiation maternelle n’était certaine que par l’accouchement. Au temps du droit romain donc…
Définissant la filiation maternelle par l’accouchement, la Cour de cassation pourrait se réclamer de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme lorsque celle-ci justifie la transcription du lien de filiation paternelle par le lien biologique.
Pourtant, cet appel à la biologie est vain s’agissant de la filiation maternelle : la femme qui porte un enfant conçu in vitro avec les gamètes d’une autre est-elle vraiment la mère ? La femme qui transmet à un enfant son patrimoine génétique ne l’est-elle pas ?
Outre que la Cour de cassation fait abstraction de l’intention, pourtant composante essentielle de la filiation, qu’elle se réfère à une conception plus ou moins « biologisante » qui ne permet pas en réalité de résoudre la difficulté, elle oublie également l’intérêt de l’enfant.
Elle oublie les liens qui se tissent au quotidien par les soins, l’affection, l’attention qu’il reçoit de celle qui a décidé de l’accueillir, de l’aider à grandir, et qui le porte au vrai sens du terme.
Qu’adviendra-t-il de cet enfant si le couple se sépare, si son père vient à décéder ? Alors, la femme qu’il considère depuis toujours comme sa mère ne sera plus qu’un tiers. Subissant déjà la séparation, voire la perte de son père, il perdra également sa mère… C’est ainsi que « mal nommer (…) c’est ajouter au malheur de ce monde » (A. Camus « Sur une philosophie de l’expression »).
Certains se consoleront par la considération que la mère d’intention peut toujours adopter.
Mais si, en définitive, il est possible qu’un lien de filiation se noue entre l’enfant et la mère d’intention, pourquoi imposer cette procédure supplémentaire, la saisine d’un juge, le ministère d’avocat, et l’aléa inhérent à toute procédure puisqu’en aucun cas le juge n’est tenu de prononcer l’adoption.
La solution se justifierait, dit-on, par le caractère d’ordre public de l’interdiction de la gestation pour autrui, par la lutte contre les trafics en tous genres dont les victimes premières sont les femmes et les enfants…Mais ces nobles inspirations ne permettent pas de justifier que le père et la mère d’intention soient traités différemment ; ils ne justifient pas, non plus, la précarité dans laquelle est laissée l’enfant.
La Cour de cassation punit-elle donc « la faute des pères sur les enfants » ? (Exode 20.5).
S. Billaud