Crim., 18 janvier 2023, 21-86.091, F-D

 

Appréciation stricte du caractère direct du préjudice allégué par le commissaire aux comptes d’un fonds de dotation, partie civile.

 

A l’ombre des palmiers, la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille.

Le 8 mars 2013, le palace Negresco, ou la Tour Eiffel de Nice comme l’appellent les habitants de la ville, est placé sous administration judiciaire.

La décision du tribunal de commerce fait suite à la mise sous tutelle de Jeanne Augier, héritière et propriétaire historique de l’hôtel familial aux capitaux 100% français.

Quatre ans plus tôt Jeanne Augier, sans héritiers, avait créé un fonds de dotation destiné à gérer son patrimoine après sa disparition. Une partie des bénéfices devait, aux termes des statuts, être reversée au développement de l’hôtel, à la défense des animaux, à la défense des handicapés et au rayonnement de l’art français.

Hétéroclite, le conseil d’administration du fonds est à ce jour composé notamment de trois amis personnels de Jeanne Augier : son médecin, son curé et un artiste peintre.

Après la mise sous tutelle de Jeanne Augier, l’entourage de la richissime héritière entre dans la tourmente. Le palace est valorisé entre 300 et 400 millions d’euros.

A compter de 2014, plusieurs membres du fonds de dotation ont été mis en examen.

En 2017, le procureur saisit le tribunal de commerce de Nice afin qu’il soit statué sur l’opportunité du maintien de l’administration judiciaire du palace Negresco. L’entourage de la famille Augier fait alors part publiquement de son indignation, soutenant que cette saisine du tribunal équivaudrait à une prévente déguisée de l’hôtel.

A la suite de ce coup de tonnerre médiatique, le procureur est, à son tour, mis en examen et son domicile perquisitionné en 2018.

Enfin, en juin 2021, ce sont deux magistrats du siège qui rejoignent le cortège des personnes mises en examens.

Suite apparemment logique des choses, c’est l’administrateur judiciaire du fonds de dotation qui se trouve mis en cause par le commissaire aux comptes de l’hôtel.

En vain, puisque la Cour de cassation a décidé, le 18 janvier 2023, soit que les délits prétendument commis n’étaient pas constitués, soit que les agissements prétendus de l’administrateur judiciaire n’avaient pu être à l’origine d’aucun préjudice réparable pour la partie civile.

Le commissaire aux comptes invoquait notamment le délit de dépôt tardif des comptes et de l’inventaire par l’administrateur judiciaire suivant la clôture de l’exercice du fonds, mais également le délit consistant en l’omission, par l’administrateur judiciaire, de convoquer le commissaire aux comptes aux réunions du conseil d’administration du fonds.

En substance, le commissaire aux comptes accusait l’administrateur judiciaire d’avoir entravé sa mission.

Seuls les deux moyens susvisés ont fait l’objet d’une motivation spéciale de la Cour de cassation.

Suivant la cour d’appel et le tribunal correctionnel, la Cour de cassation a prononcé un arrêt de rejet aux motifs que le commissaire aux comptes ne démontrait à aucun moment l’existence d’un préjudice direct et personnel.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le fait que le commissaire aux comptes ait subi une désorganisation de son activité du fait que les comptes et l’inventaire aient été déposés tardivement ne suffisait pas à constituer un préjudice direct et personnel.

De même, précisant la portée de l’article 820-4 du code de commerce, la Cour de cassation a décidé que le conseil d’administration d’un fonds de dotation ne pouvait pas être assimilé à une assemblée générale et que, par conséquent, le fait de ne pas convoquer le commissaire aux comptes à une réunion du conseil d’administration d’un fonds de dotation ne pouvait suffire à constituer un préjudice réparable pour le commissaire aux comptes et, plus fondamentalement, ne constituait pas même un délit.

Ce faisant, la Cour de cassation, suivant l’avis de l’avocat général, a donné une interprétation stricte de la loi pénale.

Il y a tout lieu d’espérer que cette affaire soit l’aboutissement de la saga judiciaire de l’hôtel Negresco, monument de la culture des palaces et de l’hospitalité à la française.

 

Louis Flobert