Civ. 2ème, 7 juillet 2022, n° 20-19.147
Le préjudice consécutif à des viols et agressions sexuelles est de nature corporelle de sorte que le délai de prescription commence à courir le jour de sa consolidation
Par cet arrêt, destiné à être publié au bulletin, la Cour de cassation a précisé le point de départ du délai de prescription de l’action d’une personne victime de viols et agressions sexuelles, et par là même la nature du préjudice que celle-ci invoque.
La deuxième chambre civile, réunie en formation solennelle, a apporté des clarifications bienvenues sur ces points et a ainsi contribué à étendre l’arsenal juridique dont les victimes de viols et agressions sexuelles pourront se prévaloir pour lutter contre l’éventuelle prescription de leurs actions.
L’un des membres de la direction d’un établissement privé catholique avait été assigné par un ancien élève pour des faits de viol et agression sexuelle.
La question de la prescription s’est immédiatement posée dans cette affaire car l’assignation a été délivrée au défendeur en 2016 alors que les faits litigieux remontaient à la période de scolarisation du demandeur au sein de l’établissement, soit le début des années 1970.
La cour d’appel, à l’instar des juges de première instance, avait jugé l’action prescrite au motif que le demandeur avait débuté une psychothérapie dès la fin des années 1980. D’après les juges du fond, cette psychothérapie témoignait d’une prise de conscience de l’aggravation du dommage allégué à compter de laquelle le délai de prescription devait commencer à courir. En désaccord avec cette analyse, le demandeur s’est pourvu en cassation.
Il faisait principalement grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré l’action prescrite sans avoir au préalable constaté la consolidation du dommage invoqué. Or, en présence d’un préjudice de nature corporelle, le délai de prescription ne peut commencer à courir tant que la date de consolidation du dommage n’a pas été arrêtée.
Sur ce point, le défendeur au pourvoi lui opposait notamment la nomenclature des préjudices corporels dite « Dintilhac » qui définit la consolidation comme étant « la date, fixée par l’expert médical, de stabilisation des conséquences des lésions organiques et physiologiques ». Or, en l’espèce, le défendeur estimait que le demandeur n’était pas en mesure de démontrer avoir subi des « lésions organiques et physiologiques ». Le préjudice ne pouvait donc pas être corporel et la notion de consolidation n’avait pas lieu à s’appliquer.
En dépit des arguments mis en avant par le défendeur, la Cour de cassation a fait sienne la thèse du demandeur au pourvoi. Elle a ainsi affirmé que le préjudice résultant de viols et agressions sexuelles est de nature corporelle. Il appartenait donc à la cour d’appel, avant de pouvoir déclarer l’action prescrite, de rechercher si le préjudice avait fait l’objet d’une consolidation.
Puisque la prescription n’était pas acquise, la Cour de cassation a également précisé que les juges du fond ne pouvaient pas retenir le délai de prescription de dix ans applicable aux actions en responsabilité civile extracontractuelle avant que l’article 2270-1 du code civil ne soit modifié par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, dont les dispositions ont été reprises à l’article 2226, al. 2, du même code.
Emiliano Cortes Morichetti