Com. 27 juin 2018, pourvoi n° 15-29.366, FS-P+B

Après plus de 10 ans de conflit et d’innombrables décisions judiciaires, la Cour de cassation, pour la deuxième fois saisie dans cette affaire, a définitivement mis fin au litige opposant la société Domia Group à ses actionnaires, à l’occasion d’un arrêt de rejet publié au Bulletin, source de précieuses clarifications sur le régime des déclarations de franchissement de seuils.

Pour rappel, tout actionnaire, agissant seul ou de concert, qui viendrait à posséder un nombre d’actions représentant plus d’une certaine fraction du capital ou des droits de vote d’une société est tenu de le déclarer à cette société, dès lors que celle-ci a son siège sur le territoire français et que ses actions sont admises aux négociations sur un marché financier (article L. 233-7, I du code de commerce). L’actionnaire qui n’aurait pas procédé régulièrement à cette déclaration de franchissement de seuil est privé des droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n’a pas été régulièrement déclarée, pour toute assemblée d’actionnaires qui se tiendrait jusqu’à l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification (article L. 233-14 du code de commerce).

En l’espèce, il était précisément reproché à plusieurs actionnaires de la société Domia Group d’avoir, de concert, franchi plusieurs seuils légaux, sans l’avoir déclaré à la société. En conséquence, le bureau de l’assemblée générale des actionnaires a limité le droit de vote de ces actionnaires aux actions en deçà de ces seuils. Les actionnaires ont alors engagé une action judiciaire pour demander, notamment, l’annulation des décisions de privation de leurs droits de vote.

L’arrêt fraichement rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation s’articulait autour de deux épineuses questions.

D’une part, la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur la compétence du bureau d’une assemblée générale pour limiter les droits de vote des actionnaires défaillants dans leurs déclarations de franchissements de seuils opérés de concert.

D’autre part, il était question de savoir si le défaut de régularisation avait pour effet de ne jamais faire commencer à courir ou de ne jamais amener à expiration la suspension des droits de vote.

 

La compétence du bureau de l’assemblée générale

Dans son arrêt du 10 février 2015, se rapportant à la même affaire, la Cour de cassation avait rappelé la solution, déjà établie, de l’incompétence du bureau de l’assemblée des actionnaires pour priver certains d’entre eux de leurs droits de vote au motif qu’ils n’auraient pas satisfait à l’obligation de notifier le franchissement d’un seuil de participation, dès lors que l’existence de l’action de concert d’où résulterait cette obligation était contestée (Cass. Com.,10 février 2015, n° 13-14.14778).

La cour d’appel de renvoi était donc invitée à rechercher si l’existence même de l’action de concert avait été contestée par les actionnaires, ce à quoi elle a répondu par la négative (CA Paris, 5 novembre 2015, n° 15/03651).

La Cour de cassation, interrogée sur ce nouvel arrêt de renvoi, a indiqué que, dès lors que l’existence du concert n’avait pas été contesté devant lui, le bureau d’une assemblée générale était compétent pour la constater et appliquer les limitations de droits de vote résultant du défaut de déclaration de franchissements de seuils opérés de concert.

Outre une application a contrario de la solution déjà établie et rappelée dans son arrêt du 10 février 2015, la Cour de cassation a introduit une précision d’ordre temporel : ce n’est que pendant l’assemblée générale, devant le bureau, que la contestation de l’existence du concert aurait dû être élevée pour utilement écarter la compétence du bureau en matière de suspension de droits de vote, car alors, le bureau ne pouvant porter aucune appréciation, la question n’aurait plus relevé de sa compétence.

 

La suspension des droits de vote

Sur cette question, deux interprétations différentes s’opposaient : pour l’actionnaire défaillant, la suspension de ses droits de vote pendant deux ans ne pouvait commencer à courir qu’à compter de la date de régularisation de la déclaration de franchissement de seuils ; pour la cour d’appel de renvoi, c’est la limitation à deux années de la suspension des droits de vote qui ne pouvait commencer à courir qu’à compter de la date de régularisation.

La Cour de cassation a tranché pour la seconde option et a considéré que la privation des droits de vote se poursuivait jusqu’à l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date de régularisation. En l’espèce, la déclaration n’ayant jamais été régularisée, la privation était toujours en cours.

Autrement dit, pour la Cour de cassation, le défaut de régularisation a pour effet de ne jamais amener à expiration le délai de privation de droits de vote de l’actionnaire.

Cette solution peut paraître, de prime abord, étonnante dans la mesure où le Conseil Constitutionnel, saisi, dans cette même affaire, de la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 233-14 du code de commerce, avait jugé conforme la suspension des droits de vote de l’actionnaire défaillant dans sa déclaration de franchissement de seuil, en considération de la durée limitée de cette suspension (CC, décision 2013-369, QPC du 28 février 2014).

Or, la Cour de cassation admet que la suspension se poursuive – au-delà de deux ans à compter du franchissement – à défaut de régularisation.

Toutefois, la solution établie s’entend tout à fait au regard du rôle que joue l’actionnaire dans sa propre suspension de droits de vote. En effet, il ne tenait qu’à l’actionnaire de régulariser son défaut de déclaration pour limiter la suspension de ses droits de vote dans le temps.

Or, en l’espèce, l’actionnaire entendait, au contraire, se prévaloir de sa propre défaillance à régulariser sa déclaration pour faire annuler les décisions de suspension de ses droits de vote, la suspension ne pouvant, selon lui, commencer à courir qu’à compter de la régularisation.

C’est donc, au contraire, la régularisation de la déclaration qui est susceptible de mettre un terme à la suspension.

 

Agnès Fonlladosa (stagiaire)