Civ. 1re, 4 juillet 2019, 17-27.621, FS–P + B

La pratique de l’année lombarde est connue et suscite un abondant contentieux que le présent arrêt va reconfigurer : elle consiste, pour calculer le montant des intérêts dus par l’emprunteur d’une somme d’argent, à convenir qu’une année comporte 360 jours et un mois, 30 jours.

Le recours à l’année lombarde n’a aucune incidence sur le montant des intérêts lorsque ceux-ci sont calculés mensuellement. En effet, pour en déterminer le montant, il faut prendre le produit du capital restant dû et du taux d’intérêt contractuel, puis le diviser par 12, ou bien le multiplier par 30/360 ou bien par 30,41 (mois normalisé)/365, ce qui aboutit à un résultat strictement identique.

Il en va différemment lorsque les intérêts sont calculés pour une période inférieure à un mois. Ainsi, pour une somme de 15 000 euros prêtée au taux de 3 % pendant trois jours, le montant de l’intérêt est de 3,75 euros si l’on utilise l’année lombarde pour le calcul (15 000 euros × 3 % × 3 ÷ 360). En revanche, son montant est de 3,70 euros si l’on se réfère à l’année civile (15 000 euros × 3 % × 3 ÷ 365).

Cette différence de résultat incite certains auteurs à adopter une opinion critique sur l’utilisation du diviseur 360, considérant qu’il conduit à une majoration dissimulée des intérêts dus par l’emprunteur, à la faveur d’une pratique peu transparente et peu compréhensible pour lui.

Cela a conduit la Cour de cassation à prendre une position radicale, alors qu’aucun texte ne requiert explicitement le recours à un diviseur 365 pour le calcul des intérêts conventionnels ni ne prévoit de sanction en cas d’utilisation d’un diviseur 360 : « le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile » (civ. 1re, 19 juin 2013, 12-16.651, bull. 132).

C’est cette solution, drastique car elle privait le prêteur de la totalité des intérêts contractuels, que le présent arrêt vient modifier en profondeur.

 

Elle était insatisfaisante sur au moins deux points.

D’une part, elle permettait d’annuler une stipulation d’intérêt sur la seule base de la présence, dans le contrat de crédit, d’une clause prévoyant le recours à une année de 360 jours dans le calcul des intérêts conventionnels. C’est d’ailleurs le cas dans l’affaire qui a mené à l’arrêt de référence du 19 juin 2013.

Or, rien ne justifie d’annuler une stipulation d’intérêt pour une raison aussi formelle, sans aucun égard pour les conséquences financières du diviseur 360. Ainsi qu’on l’a vu, les intérêts calculés mensuellement, qui constituent l’essentiel des intérêts afférents à un prêt, ne sont nullement affectés par le diviseur 360. L’année lombarde n’a d’incidence que pour les intérêts dits « journaliers » c’est-à-dire calculés en nombre de jours.

D’autre part, il est même des hypothèses où le diviseur 360 profite aux emprunteurs. Il en est ainsi lorsqu’un mois de 31 jours se termine au cours de la période journalière : car la pratique de l’année lombarde, si elle implique de considérer que l’année comporte 360 jours, suppose que tous les mois comptent 30 jours, si bien que le 31ème jour du mois sera exclu du calcul, ce qui profite à l’emprunteur. Pour reprendre l’exemple précédent, si la période de trois jours court du 29 au 31 janvier, les intérêts seront calculés sur deux jours seulement (les 29 et 30 janvier), ce qui donnera un montant de 2,50 euros (15 000 euros × 3 % × 2 ÷ 360), au lieu de 3,70 euros (15 000 euros × 3 % × 3 ÷ 365).

 

L’espèce soumise ici à la Cour de cassation ressort de cette seconde hypothèse. Le prêt contenait une clause selon laquelle les intérêts conventionnels seraient calculés sur la base d’une année de 360 jours et d’un mois de 30 jours. L’on y retrouvait la logique de la pratique bancaire : si l’année est de 360 jours, alors il n’y a pas de mois de 31 jours.

L’arrêt d’appel avait refusé de procéder à l’annulation de la stipulation d’intérêt au motif que le diviseur 360 avait eu une incidence favorable aux emprunteurs solidaires, du fait de la présence d’un 31 dans la période au titre de laquelle des intérêts journaliers étaient dus.

Le pourvoi des emprunteurs prétendait alors que l’annulation de la clause d’intérêt était encourue à seule raison de la présence de la clause d’année lombarde.

En écartant ce raisonnement pour le moins formaliste, la Cour de cassation a opéré un changement radical : relevant que la cour d’appel avait constaté que le diviseur 360 avait eu une incidence favorable pour les emprunteurs, elle a rejeté le pourvoi.

La Cour de cassation s’est ainsi livrée à une importante régulation de sa jurisprudence, comparable à celle qu’elle a instaurée en matière d’inexactitude du TEG, où elle décide qu’aucune sanction n’est encourue lorsque cette inexactitude ne vient pas au détriment de l’emprunteur, c’est-à-dire lorsque le TEG affiché au contrat est supérieur à celui réellement pratiqué (civ. 1re, 16 novembre 2016, 15-23.178, inédit).

Les emprunteurs devront donc désormais rapporter la preuve que le diviseur 360 a généré un surplus de facturation d’intérêts journaliers à leur détriment s’ils veulent obtenir l’annulation du taux conventionnel. Là encore la question de l’adéquation de la sanction se pose, et les banques ne manqueront pas d’argumenter en ce sens : peut-on vraiment justifier, notamment au regard du principe de proportionnalité, de priver un prêteur de plusieurs dizaines de milliers d’euros d’intérêts contractuellement dus, au motif qu’il aurait surfacturé quelques centimes ou quelques euros au titre d’une période journalière ?

Plus question en toute hypothèse d’annuler une stipulation d’intérêt au seul motif de la présence d’une clause lombarde dans le contrat de prêt. D’un formalisme excessif et infondé, cette sanction liait abusivement stipulation d’intérêt et clause lombarde. En effet, un diviseur, quel qu’il soit, n’est jamais qu’une modalité de calcul de l’intérêt, de sorte que l’intérêt peut être calculé, au même taux, au moyen d’un diviseur 360 ou 365 et donner ainsi deux résultats différents ! Il n’y a donc aucune indivisibilité entre la clause d’intérêt et la clause lombarde, la première pouvant aisément survivre à l’anéantissement de la seconde.

En définitive, l’arrêt commenté illustre bien le caractère artificiel de ce contentieux et l’hostilité qu’il suscite de la part de la Cour de cassation.

François Colonna d’Istria