Décision n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021 + Crim., 10 novembre 2021, n°20-84.861

Droit au silence du mineur : inconstitutionnalité, inconventionnalité et réforme législative

 

Selon les articles 6, § 1er et 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, 171 et 174 du code de procédure pénale, toute personne poursuivie doit, avant d’être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, être avertie de son droit de garder le silence, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées.

En 2019, un juge des enfants a mis en examen un mineur pour avoir commis un vol par effraction. Au préalable, un service de la protection judiciaire de la jeunesse avait procédé à un recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE), dont le compte-rendu était communiqué à la juridiction de jugement. il consiste en un recueil d’informations succinctes permettant une appréhension ponctuelle de la situation du mineur. Il porte sur des données personnelles, familiales et sociales simples, est réalisé par un professionnel et dans des délais restreints et comporte une proposition éducative ou une demande d’investigation complémentaire. A cette occasion, le mineur avait été interrogé sur son positionnement quant aux faits reprochés.

Par une requête en nullité de la procédure, le mineur a saisi la chambre d’instruction, qui n’a pas fait droit à sa demande. Il faisait valoir que l’éducateur n’avait pas le droit d’évoquer les faits avec le mineur, au motif que le RRSE n’a pas pour vocation de recueillir des preuves de la culpabilité du mis en cause, et que, lors de l’entretien entre l’éducateur et le mineur, aucune garantie procédurale – notification des charges, droit au silence, assistance par un avocat – n’est assurée. Les juges du fond considéraient eux que les éducateurs, dans le cadre d’un RRSE, pouvaient évoquer les faits avec le mineur sans l’avertir de son droit de garder le silence et de son droit à l’assistance d’un avocat.

Par un arrêt du 13 janvier 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article 12 de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, qui prévoit l’établissement, par le service de la protection judiciaire de la jeunesse, du RRSE.

Le Conseil constitutionnel, par une décision du 09 avril 2021, a conclu à l’inconstitutionnalité de cet article, considérant qu’en ne prévoyant pas que le mineur entendu par le service de la protection judiciaire de la jeunesse devait être informé de son droit de se taire, l’article portait atteinte à ce droit. Le Conseil a ajouté que l’abrogation de cet article ne prendrait effet qu’au 30 septembre 2021, et que les mesures prises sur le fondement de cet article avant la publication de sa décision d’inconstitutionnalité ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette décision.

Pourtant la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette inconstitutionnalité dans la présente affaire, faisant fi de l’abrogation différée décidée par le Conseil constitutionnel.

Pour ce faire, la Cour de cassation a visé l’article 6 § 1 et 3 de la CEDH, et rappelé que toute personne poursuivie doit, avant d’être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, être avertie de son droit de garder le silence, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne censure pas la décision des juges du fond en ce qu’elle a dit que l’absence d’assistance du mineur par un avocat ne saurait entraîner l’annulation du RRSE. Les Hauts Magistrats considèrent qu’à ce stade de la procédure, le mineur peut être entendu hors la présence de son avocat.

En revanche, concernant l’absence de notification faite au mineur de son droit au silence, la Cour censure la position des juges du fond, considérant qu’il appartenait à la chambre de l’instruction de procéder à l’annulation partielle du rapport établi en cancellant les passages relatifs aux déclarations et aux réponses faites par le mineur aux questions portant sur les faits.

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire systématise désormais l’information d’un mineur entendu dans le cadre d’une procédure de recueil de renseignements socio-éducatifs sur son droit de se taire.

 

Benjamin BILGER